Hugues de Wurstemberger

  1. Prison de Saint-Gilles & Prison de Forest



  2. Témoignage 1

    J’ai un message pour la ministre.
    Je veux vous dire mon expérience car je ne crains personne hormis Dieu.
    D’abord je présente mes excuses parce que je suis honteux, mais je dois vous poser une question importante : “Comment se reconstruire en prison ?“.
    Même si c’est un palace, une prison reste une prison. J’y suis pour recel, ça je le regrette du fond du cœur. J’ai pris six ans, une condamnation sévère.
    J’ai fait un an aux Pays-bas, un an et demi à Saint-Gilles. Je peux comparer les deux systèmes. En Hollande, il n’y a pas de tiers libérable, c’est d’office les deux tiers.
    On connaît de suite notre peine, ça ne fausse pas les rapports. C’est le vrai visage ! Les peines sont moins lourdes. Ton cœur est moins lourd ! Ici, avec le tiers libérable,
    au moindre problème, vous vous prenez un rapport et vous perdez votre seul avantage. C’est le cercle vicieux. Là-bas, c’est clair, tu entres et tu sais quand tu vas sortir !
    Ici, les règles vous désespèrent. En Hollande, les gardiens sortent avec nous sur le préau. Ils sont là pour nous guider. On est dans le respect.
    Ici, ils sont loin de nous, derrière des fenêtres blindées, aucune confiance. Il faut toujours demander et toujours attendre.
    Ici c’est la méfiance. Alors, comment devenir meilleur ? C’est ça mon problème ! Pour m’améliorer, je devrais avoir affaire à des gens mieux que moi.


  3. Témoignage 2

    J’ai écrit au Roi, au ministre de la Justice, au ministre de l’Intérieur, au président de la cour d’assises, au procureur général, à la commission de déontologie,
    au Conseil supérieur de la Justice, au Conseil supérieur de la magistrature, à la présidente du Sénat, à la Sûreté de l’Etat, au Conseil d’Etat, à des journalistes.
    J’ai écrit plus de 100 lettres, et minimum 50 à mon juge d’instruction. Je fais tout ça parce que j’ai l’impression qu’on m’accuse d’avoir violé une martienne sur la banquise.
    Je n’y comprends rien ! Je ne sais plus quoi dire ou penser. Sans cesse, ils reportent les dates, enquêtes, contre-enquêtes, appels à témoin.
    Ça fait deux ans que j’attends mon procès! Dès qu’on a une étiquette, on vous accuse de n’importe quoi !

    À 18 ans, je suis sorti d’une maison de correction : “Jacques, vous êtes libre !“… Où bouffer ? Je me suis procuré un pistolet, je suis rentré dans un bar du quartier chaud et
    pour payer mon repas, j’ai joué à la roulette russe. Les gens du milieu m’ont remarqué, c’est là que ma vie a commencé ! Maintenant, ma vie, on me la vole, je manque d’air, j’étouffe !
    J’ai écrit à mon juge pour lui demander de faire son devoir d’enquête. Rien de ce qui est en ma faveur n’est vérifié, ils pensent : capable du fait, coupable du fait !
    Pour faire tomber votre conditionnelle, il suffit d’être dans un périmètre de 5 km autour d’un fait criminel.

    La réinsertion, c’est une blague ! Je n’ai qu’une parole ! Je suis un truand honnête. Je suis d’un côté de la barrière, pas de l’autre, c’est une sorte d’honnêteté.

     Au lendemain de ma libération, je vais à la piscine avec mon môme. Il me dit : “C’est chouette d’être avec toi“. Là-dessus il me fait promettre de ne plus retourner en prison.
    Je n’ai qu’une parole et ma promesse, je l’ai tenue, pour lui! Pour mon fils ! Ça, bien sûr, le juge n’en a rien à foutre.
    Mon fils m’a aussi dit : “Mais t’avais un pistolet papa ?“, je lui ai répondu :“Fils, j’en ai toujours un !“.
    À mon fils aîné, j’ai dit : “Achète du cyanure à telle adresse, teste la moitié de la dose sur un gros chien, s’il meurt, donne-moi l’autre moitié, je ne peux plus vivre comme ça !“.
    J’ai 52 ans, je suis désespéré de chaque jour qu’on me prend. Quand on m’a arrêté, je ne bougeais plus, ma vie de truand était derrière moi.


  4. Témoignage 3

    Je vous donne mon sentiment à moi. J’ai déjà neuf ans de prison, mes peines antérieures, je les ai acceptées, je les assume pleinement, mais celle-ci, je ne l’accepte pas!
    C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Comment supporter ? Je n’ai pas participé aux faits qu’on me reproche, d’ailleurs le bijoutier ne m’a même pas reconnu.
    De suite, ma conditionnelle est tombée. J’avais refait ma vie, j’étais sorti, j’avais rencontré une femme. Nous avions un enfant, une maison, des meubles, tout!

    Mais, quand je suis passé devant la juge d’instruction, je n’ai pas su la convaincre, c’est ça la vraie réalité des choses et toute ma vie s’est cassée!
    Ma femme s’est séparée de moi, mes enfants aussi. C’est si difficile de ne pas les voir, je n’ai même pas pu fêter l’anniversaire de ma fille. Ma vie est brisée !


    Je ne suis pas un enfant de chœur, mais je sais que j’ai été condamné sur dénonciation. Les indicateurs, c’est anonyme, ça peut se faire par jalousie. C’est n’importe quoi !
    Jamais de confrontation avec eux. La parole anonyme de l’indic vaut plus que la tienne. J’ai eu des moments suicidaires, de sales moments.
    Pour tenter de prouver mon innocence, j’avais demandé au SPS* de traduire en néerlandais ma demande de grâce à envoyer au parquet de Gand, ils n’ont pas voulu !
    Ils m’ont dit : “Il ne faut pas vous attendre à avoir une grâce“, comme si c’était eux qui décidaient ! Puis j’ai demandé à voir quelqu’un du greffe, pas de réponse.
    Tarek, lui, ça fait 26 mois qu’il fait des rapports, pas de réponse ! J’ai connu 17 prisons, ici ça ne fonctionne pas. Ailleurs, tu vois l’A.S.*
    le jour d’après, c’est la chose la plus importante pour le détenu. Ton dossier c’est ta vie ! J’ai travaillé deux jours au S.P.S*. J’ai vu des piles de dossiers en souffrance.
    Tu écris des lettres fermées à la direction pas de réponse ! T’as pas le choix, alors tu fais une connerie. Tu passes par le cachot et là t’es sûr de voir le directeur.
    Enfin tu peux parler. Le détenu est poussé à faire des choses comme ça.


    *Service psychosocial interne
    *Assistant/e social/e.


  5. Témoignage 4

    Moi, je veux parler aux jeunes des cités. La jeunesse pense “la prison c’est super, on se fait du muscle, tu sors, t’es un caïd !…“.
    Mais nous, du muscle, on en fait pour tenir le coup ! C’est le désespoir qui nous fait faire 500 pompes par jour, le désespoir qui nous fait faire des centaines de barres!
    La journée est très, très, très longue en prison, t’as tout le temps pour battre les records. C’est ça qu’il faut dire aux gamins.

    Ici, il n’y a pas de réinsertion. On le dit mais en vérité on nous prépare pas !
    Tu reçois une condamnation de deux ans pour un vol simple, tu vas faire huit mois et t’auras trois ans de sursis.
    Dans les mois qui suivent, si on te rattrape pour une affaire, ton sursis tombe, tu purges ta première condamnation, plus la nouvelle… et quatre ans, quatre ans et demi après tu ressors.
    Là, direct, tu dois trouver un appart, un boulot. Si tu fais quoi que ce soit, tu retombes.
    Y a des gars qui rentrent pour un rien et ils n’en sortent plus. Leur vie est un engrenage. Ils n’ont pas les moyens de se réinsérer.
    Les seuls bons côtés, c’est la lecture, le physique, mais le faible d’esprit qui ne sait ni lire ni écrire… qu’est-ce qu’il fait ? Ou il se suicide ou il baisse son pantalon.
    Nous ce qu’on veut, c’est sortir au plus vite et au mieux, mais quand tu sors, tu sors furax, complètement furax.


  6. Témoignage 5

    En prison, il ne se passe rien. Les psys sont débordés. Tu ne les vois jamais assez, ce ne sont que des paroles.
    Je suis en solo. Souvent à la fenêtre, je fais mes comptes : les amis ça n’existe pas.  Dehors, ils profitent de toi, dedans, ils ne viennent pas te voir. J’ai fait une croix sur eux.
    En fait, j’ai envie de zapper tout le monde.

    Je suis entré à 17 ans, on se mûrit soi-même. Ici, la moindre chose fait plaisir, une lettre par exemple. A l’extérieur, ce n’est rien mais ici ! Je prends tout mon temps pour la lire, je souris toute la journée.

    Mon premier congé, je l’ai attendu deux ans. Quand tu sors, t’en prends plein la gueule ! Tu retrouves le monde extérieur et sa galère. Tu prends peur de sortir ! Ici en prison, c’est la routine. 
    Quand tu sors, tu dois chercher du travail, te retrouver un quotidien… tu n’arrives à rien. Trois semaines après, j’ai eu un deuxième congé, c’était encore plus mauvais. J’ai refusé mon troisième congé.
    Je n’aurais pas eu le courage ni d’affronter ces nuits à penser et repenser. T’en dors plus. On te répond  “on vous rappellera “ et … rien.
    Maintenant, on vous demande partout votre certificat de bonne vie et mœurs. C’est perdu d’avance !. La semi-liberté, c’est vraiment risqué, tu replonges très vite.
    Le détenu, il faut absolument l’aiguiller et l’aider avant sa sortie de prison.

    Dehors, quand tu croques le kebab, c’est comme si ces deux ans n’avaient pas existé !
    Tu fais un tour en bagnole, la tête te tourne à 70 km/h ! L’air est si différent, il te saoule, tout ce qui te manque dedans te saoule.
    Finalement tu te dis que tout ça, c’est rien parce que t’as perdu tout espoir.


  7. Témoignage 6

    Après mon service militaire, j’ai été dans la marine marchande. Partout, j’ai été partout, au Japon, au Chili, en Amérique.

    Je suis à Saint-Gilles depuis cinq mois sur une fausse accusation d’une dame d’Oupeye.
    Ma maman habite Soignies. Sur la place de La Louvière, j’ai vu passer 500 personnes de ma famille, peut-être plus, ma mère, ma marraine, mon oncle, mes cousins.
    Ils passaient tous devant moi, un grand cortège, toute ma famille, tous morts. Ma mère et mon fils sont morts. Ils sont enterrés à Ittre.
    Le tatouage là, c’est pour mon fils mort, celui-ci pour ma mère morte.
    Après tous ces décès, j’avais un sentiment trop pénible, alors je suis tombé en syncope. Je suis tombé dans l’escalier en fer de la prison.
    Je me suis ouvert la tête. Ici, au CMC*, c’est très bien, les infirmiers sont gentils, les surveillants aussi. Je me sens mieux dans ma tête. J’ai mon paquet de tabac et je peux aller fumer.

    Je suis Manouche, demain je monte sur le trône. Je serais le premier manouche roi des Belges,
    demain, j’épouse une nouvelle Reine, je fais un nouveau parlement, je nomme un nouveau ministre de la Justice.


    * Centre médicochirurgical


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